Daech : paroles de déserteurs
Des transfuges de l'État islamique et ceux qui les ont aidés à s'échapper témoignent. Un document exceptionnel sur ce que fut la vie quotidienne au sein de Daech, et les conditions de ce périlleux travail d'exfiltration.
Dans une ville du sud-est de la Turquie, située à seulement 60 kilomètres de la Syrie en guerre, en 2015, un réseau clandestin prend les plus grands risques pour exfiltrer des combattants qui souhaitent quitter l'organisation État islamique. Sous couvert d'anonymat, ces déserteurs, des hommes originaires de Syrie ou de Jordanie, ont accepté pour la première fois de raconter leur vie sous le joug de Daech, ainsi que les raisons qui les ont poussés à le rejoindre puis à le fuir. Ces témoignages sont exceptionnels, car, en général, les déserteurs de Daech se cachent et ne parlent pas – s'ils ne sont pas rattrapés par l'EI puis exécutés. Les hommes décrivent la session de préparation, que l'un d'eux compare à un lavage de cerveau, l'entraînement militaire ultramartial de quinze jours, les avantages (solde mensuelle, maison confortable), mais aussi les atrocités commises au quotidien, l'arbitraire des "émirs", les charniers, les blessés qu'on achève, les femmes réduites au statut d'esclave sexuelle, tuées pour un oui, pour un non… Des témoignages illustrés par des vidéos, souvent d'une grande violence, trouvées sur les téléphones portables de combattants de l'État islamique ou de déserteurs.
Déjouer les pièges de Daech
Le réseau d’exfiltration, constitué de combattants historiques de l’Armée syrienne libre (opposée à Bachar el-Assad), a accepté de dévoiler quelques-unes de ses méthodes de travail. "Daech a essayé de nous piéger avec de faux déserteurs", explique l'un des membres de cette cellule spécialisée. Pour éviter toute tentative de manipulation, l'exfiltration ne se produit qu'après une longue enquête. En aidant les déserteurs à fuir et en recueillant leurs témoignages, les membres du réseau veulent dénoncer les mensonges de l’EI et son culte de la violence. Ils pensent ainsi décourager les futurs candidats au djihad. Les informations collectées leur permettent aussi d'en savoir plus sur les positions occupées par Daech. Ces hommes déplorent en revanche de ne pas coopérer davantage avec les autorités occidentales, qui, d'après eux, ne veulent plus rien savoir de leurs ressortissants une fois que ceux-ci ont rejoint l'État islamique.