Les liaisons scandaleuses
Une éclairante anatomie du chef-d’œuvre de Choderlos de Laclos, manuel libertin en même temps que satire sociale, à la veille de la Révolution.
"Le vice monstrueux s’y fait voir dans toute sa difformité." À sa publication en 1782, Les liaisons dangereuses scandalise et déchaîne les passions. On le lit sous le manteau et dans les alcôves pour mieux s’offusquer de son parfum de soufre et de ses allusions sexuelles. Composé de 175 lettres d’un duo machiavélique d’aristocrates − partenaires puis ennemis −, le roman, brillant traité de libertinage, entremêle dans une langue raffinée amour, vengeance et manigances. Jugé immoral, le livre est surtout voué aux gémonies comme corrupteur d’âmes, celle des jeunes filles en particulier. Plus encore que le vicomte de Valmont, séducteur débauché, la diabolique marquise de Merteuil sidère et dérange. Manipulatrice à l’intelligence redoutable, cette veuve et amante blessée, qui aspire au pouvoir des hommes, se bat pour le conquérir dans une guerre des sexes sans merci, menant le jeu au fil d’intrigues sophistiquées. À travers cette héroïne du XVIIIe siècle, jusque-là sans équivalent en littérature, Choderlos de Laclos dénonce la domination masculine − qu’illustre aussi cruellement le viol par Valmont de la jeune Cécile de Volanges, pour laquelle Mme de Merteuil exprime, à son tour, un désir à peine voilé. Car en homme des Lumières et lecteur de Rousseau, l’auteur dresse, dans ce roman épistolaire virtuose, le portrait d’une société hiérarchisée délétère que seule une révolution serait en mesure de réformer.
Féroce noirceur
"Je résolus de faire un ouvrage qui sortît de la route de l’ordinaire, qui fît du bruit et qui retentiî encore sur la terre, quand j’y aurais passé…", confiait Laclos, à l’origine officier de carrière. Anatomie d’"un livre qui brûle comme de la glace…", selon Baudelaire, ce documentaire éclaire les tiroirs gigognes d’un chef-d’œuvre censuré puis encensé, dont les adaptations au cinéma, de Roger Vadim au Coréen Lee Jae-yong en passant par Milos Forman ou Stephen Frears, ont contribué à forger l’immense popularité. À la fois manuel libertin et satire sociale, Les liaisons dangereuses a traversé les siècles sans perdre de son charme subversif, ni la pertinence de son invitation à la réflexion. Avec la romancière Cécile Guilbert et les professeurs de littérature Catriona Seth et Michel Delon, une plongée savante dans un roman d’une noirceur féroce, miroir de la dimension conflictuelle de l’amour et des perversités d’une humanité gangrenée par les inégalités.