Buster Keaton, un génie brisé par Hollywood
Retour sur l’œuvre d'un génie du cinéma broyé par la machine hollywoodienne. Le portrait sensible d’un poète, entre humour et mélancolie.
Une "face de glace" au regard grave, un corps élastique se pliant avec grâce aux exploits physiques les plus fous, capable d’exprimer des émotions subtiles : Buster Keaton, l’acrobate-poète, est presque né sur une scène de music-hall – celle où se produisaient ses parents –, en 1895, au tournant du siècle. À 4 ans, il fait partie du spectacle, happé par l’hilarité du public qu’il ne cessera plus de rechercher. Des années plus tard, le petit bonhomme fragile prend des risques insensés dans ses films, chute et se blesse en sautant d’un immeuble dans Les trois âges, avant de garder la prise. Acteur, réalisateur, producteur, ingénieur, voltigeur : dans son petit studio de cinéma, sa créativité se démultiplie à l’infini pour des petits miracles d’humour, d’élégance et de mélancolie. Buster invente et improvise, se laisse griser aussi par sa passion des trains qu’il filme mieux que personne, entre autres, dans l’un de ses chefs-d’œuvre, Le mécano de la "General". À la fin des années 1920, le roi du muet est au sommet de sa gloire – villa de nabab à Beverly Hills et flamboyantes soirées au bord de la piscine – avant la chute, vertigineuse, quand il commet l’erreur de signer à la MGM, dirigée par Louis B. Mayer, renonçant du même coup à sa liberté artistique. Car le talent du cinéaste n’a pas été ruiné par le parlant – doué pour les dialogues, Keaton avait en outre une belle voix profonde –, mais bien broyé par la machine hollywoodienne.
Romantique dans l’âme
Jean-Baptiste Péretié (La revanche des geeks, Allemagne, l’art et la nation) conte cette tragédie en traversant l'œuvre de Keaton dans un souffle inspiré, le florilège d’extraits de ses films dessinant le portrait bouleversant d’un romantique dans l’âme, derrière le voile délicat du burlesque. L’occasion aussi d’entendre Keaton au crépuscule de sa vie, et de (re)voir des pépites de cinéma, comme cette séquence où il fait venir un moteur d’avion sur le plateau pour simuler un cyclone, tourbillonnant et rebondissant avec légèreté dans les airs, humble et magistral.