Voir sans les yeux
Quelle perception du monde a-t-on quand on est aveugle ? Marie Mandy propose une étonnante plongée dans le monde perceptif des non et malvoyants.
Quelles images a-t-on dans la tête quand on ne voit plus ou presque plus ? Comment supporter de vivre quand disparaissent le jour, la lumière, les repères, la perspective ? Les personnages de ce film, tous aveugles ou malvoyants nous apprennent que les images ne sont pas que visuelles. Elles sont aussi sonores et tactiles. Elles sont un jeu infini entre l'imagination, la mémoire, la découverte. John, professeur d'université n'a aucune sensation de lumière depuis 20 ans ; Alain, psychologue est en train de perdre totalement la vue ; Sylvie est professeur et sculptrice, elle vit avec 5% de vision ; Aladji a perdu la vue enfant et bat des records de vitesse de course à pied ; la petite Sarina ne voit que les contrastes et les couleurs… et pourtant… tous VOIENT vraiment, mais autrement !
Ils nous entraînent à la frontière du visuel, dans un voyage sensoriel et paradoxal puisqu'ils nous expliquent et nous font ressentir ce qu'ils ne voient pas ! Au bout du chemin, une autre façon de voir, sans les yeux, mais de tous ses sens. Une manière de nous interroger sur notre propre représentation de la réalité et de mettre en cause la dictature visuelle que nous nous sommes forgés.Tant que j'ai mes mains, je vois. Pour rendre palpable la réalité de ceux qui ne voient pas ou peu, Marie Mandy est allée à l'encontre des règles habituelles : ses images sont floues, surexposées ou sous-exposées, le champ visuel réduit comme si l'oeil de la caméra ne voyait pas. La réalisatrice a également eu recours à la caméra thermique, qui filme le monde sans lumière, exactement comme les aveugles le voient. Autre méthode inédite : elle a filmé John Hull en temps réel, sur le campus de son université, une caméra crayon accrochée au bout de sa canne. Il doit se concentrer à chaque pas sur ces indispensables yeux artificiels que sont sa canne et ses mains ("Tant que j'ai mes mains, je vois.") On découvre ainsi un monde où le temps et l'espace sont linéaires.
Enfin, Marie Mandy a accordé une attention particulière au son : "Il s'agissait de créer des sons distincts là où on entend d'habitude un magma indifférencié." Son documentaire donne à ressentir plus qu'à comprendre. Il invite également les voyants à remettre en question la dictature de l'image. Car la réalité d'un aveugle n'est pas moins "réelle" que celle d'un voyant. Elle est simplement différente.